Me voici de nouveau installé dans le Breguet XIV. Luc est devant pour un entraînement de présentation en vol : même lui doit s’entraîner de temps en temps !
Il me laisse les commandes pour la prise d’altitude : ça, je sais (à peu près) faire : virage prudent après décollage et tirer sur le manche pour obliger l’avion à monter…
Puis les choses sérieuses commencent et je ne touche plus à rien ! Me voici donc transformé en sac de sable…
Nous sommes à environ 800 pieds-sol. Premier passage en vent arrière puis succession de virages serrés, bascules dans un sens puis dans l’autre. Le taux de roulis n’est pas énorme car la machine est lourde et peu réactive, mais les virages sont francs et se succèdent sans intervalle, ce qui donne une succession étonnamment rapide d’évolutions.
À la place passager, on ressent un mélange surprenant de lourdeur pataude et de vivacité : un virage fortement incliné en Breguet XIV, ça tourne fort ! Il y a une force extraordinaire dans ces évolutions, une force totalement absente des avions de voltige modernes, infiniment plus agiles. C’est la lenteur même de ces mouvements qui confère cette impression de force. L’engagement dans un virage paraît inexorable, la machine se précipite lourdement dans le virage, puis, malgré son inertie, plonge avec détermination et de tout son poids dans un virage en sens inverse.
Tel le paquebot de mon enfance, le Liberté, dans une tempête entre New York et Le Havre, s’écrasant lourdement au creux de la vague pour se précipiter de toute sa force sur la vague suivante et la surmonter, le Breguet allie sa masse, sa force et une grâce majestueuse pour aligner avec une lenteur pleine de dignité des évolutions dont on ne le croirait pas capable…
L’art du pilote est alors de faire en sorte que, vu du sol, ce lent ballet paraisse naturel, aisé, alors qu’il exige, outre un réel engagement physique, une coordination précise, une intimité et une absolue connivence avec cette monture rétive qui n’obéit qu’à celui qui la comprend.
Le pilote, humblement, se soumet aux caractéristiques de sa machine pour, en retour, lui imposer de faire le meilleur.
Le vol se termine par une PTU glissée pour se poser. Le sac de sable que je suis se dit : « mais nous sommes beaucoup trop haut, beaucoup trop près de la piste ! ». Toutefois, en une courbe souple et homogène, l’avion glisse sans effort vers le seuil et se pose.
Bravo l’avion ! Bravo le pilote !