L’Émeraude est au point de départ d’une lignée prestigieuse, œuvre principale de Claude Piel. Celui-ci, fils de menuisier, né en 1921, commença sa carrière avant-guerre en réalisant des maquettes d’aménagement en bois de cabines de pilotage d’avions de chasse : avant de construire un prototype complet, on étudiait ainsi l’aménagement du poste de pilotage afin d’éviter que le pilote puisse être gêné dans ses mouvements ou que quelque commande s’avère inaccessible. Pendant la guerre, après avoir lu Le Sport de l’Air d’Henri Mignet, il se lance dans la construction d’un Pou du Ciel modifié qui deviendra le CP10 Pinocchio dont le premier vol a lieu en 1948. Le CP10 ayant été accidenté (sans dommage humain), il en récupère la gouverne de direction qu’il adapte à son CP20 également baptisé Pinocchio car c’est ce qui était écrit sur la gouverne récupérée… Ce nouvel avion, entièrement conçu par Piel, est un magnifique petit monoplace inspiré du chasseur anglais Spitfire avec une superbe aile elliptique comme son modèle ! L’avion est achevé en 1951 et s’attire de nombreux commentaires élogieux tant pour ses qualités de vol que pour son allure.

Il s’attaque ensuite au CP40 Donald un monoplace à aile haute inspiré du Piper Cub. Cet avion verra le jour un peu plus tard, mais fort du succès du CP20, son mini-Spitfire, il conçoit le CP30 Émeraude une extrapolation biplace du CP20, avec bien sûr une gracieuse aile elliptique agrandie. Le prototype vole en 1954.

L’Émeraude est un succès : des amateurs en acquièrent les plans et les construisent, des séries sont lancées par plusieurs constructeurs professionnels, les versions se succèdent, Émeraude puis Super-Émeraude, en tout environ un millier d’exemplaires !

Suivirent le CP60 Diamant triplace, le CP70 Béryl biplace en tandem de voltige, le CP80 un élégant racer, le CP90 Pinocchio II successeur du CP20, et le CP1320 Saphir un biplace à train rentrant qui devait prendre la suite de l’Émeraude. Le CP100 enfin, biplace de voltige qui reprenait l’architecture du Super-Émeraude, servit de base au célèbre CAP10 de Mudry, l’avion qui a formé plusieurs générations de voltigeurs dont pas mal de champions ! Le CAP10 a la même aile elliptique (renforcée) que le CP30 ce qui lui donne une silhouette très similaire malgré les 180ch du moteur… Voilà donc une belle descendance !

L’Émeraude F-PHLN, maintenant basé à Castelsarrasin-Moissac, a été construit en 1955 à Nîmes par Henri Touzard : numéro 5 de la série, c’est donc un des tous premiers ! Initialement doté d’un moteur Continental de 65ch, il a ensuite été équipé d’un 90ch ce qui en fait officiellement un CP301A. Contrairement à la plupart des Émeraude/Super-Émeraude, il n’est pas doté d’une verrière « bulle » coulissante mais d’une verrière classique à portes, ce qui lui donne une allure un peu plus « vintage ». Après une longue carrière aux mains de divers propriétaires, il est finalement acquis par ses actuels propriétaires en 2005 et basé à Saint-Cyr l’École en région parisienne. Il vole alors régulièrement, voyage entre l’Ile de France et le sud-ouest, mais au vu de son âge, une restauration complète finit par s’imposer : désentoilage, démontage, réfection de tout ce qui doit l’être, menuiserie, moteur, réentoilage, rééquipement, électricité, circuit d’essence, peinture, remontage… C’est le 27 juillet 2023 enfin qu’a lieu à Castelsarrasin-Moissac, où il est maintenant basé, son premier vol après restauration : un vol satisfaisant sans histoire ! On a bien travaillé…

Ce travail a été l’occasion d’admirer la structure interne de cet avion : vu de l’extérieur tout cela est bien joli et finalement assez simple et dépouillé… Une fois dévoilé, on découvre un incroyable dédale de baguettes et de plaquettes de bois de tailles et de formes diverses, associé à des grandes pièces élégamment incurvées : du grand art de menuiserie !

Piloter l’Émeraude est une expérience hédoniste ! Ses performances sont plus qu’honorables au vu de la puissance de son moteur, mais son charme est essentiellement d’être un avion à la fois beau et sympathique. Gracieux, léger et manœuvrant, non sans précision, il adore être en l’air ! Il faut bien sûr le surveiller un peu car, assez vif, il est parfois un peu fantaisiste, mais sans méchanceté : quand on le manipule avec affection, il se comporte très bien. Quand on pilote l’Émeraude, on n’est pas trop dans les paramètres et beaucoup dans l’affect…