Une aile d’avion classique est longitudinalement instable : si elle se cabre, elle va se cabrer encore davantage, et si elle pique, elle piquera encore plus ! En pratique, si le pilote s’en mêle et tente de corriger ces mouvements, comme il le doit, cela se traduit par des oscillations violentes qui divergent inéluctablement : l’avion est impilotable. C’est pour cela que les avions ont une longue queue au bout de laquelle se trouve un empennage qui stabilise l’ensemble. Toutefois, si l’on examine l’intérieur de la queue d’un avion léger, on s’aperçoit rapidement qu’elle est vide… un gâchis de place sans compter la traînée supplémentaire que cela implique. Comment faire alors pour se passer de tout cela et revenir à la pureté et à la simplicité originelles de l’aile ? C’est une question qui traverse l’histoire de l’aéronautique depuis les débuts.
Plusieurs solutions ont été trouvées.
L’une d’elles consiste à utiliser un profil d’aile dit « autostable » : une telle aile est pilotable. Le prix à payer est que les profils autostables, à double courbure, sont en général moins performants que les profils classiques. Il faut alors faire des compromis délicats entre le gain réalisé en supprimant la queue et la perte due au profil, sachant que l’installation de volets hypersustentateurs pour l’atterrissage est exclue, ce qui implique d’augmenter la surface de l’aile, et donc la traînée.
Les frères Horten, en Allemagne pendant la deuxième guerre mondiale, développèrent le concept d’une aile en flèche vrillée en bout d’aile dont les ailerons, largement situés en arrière du centre de gravité du fait de la flèche, pouvaient aussi servir de gouvernes de profondeur et de stabilisateurs longitudinaux. Là encore, les compromis sont délicats entre la flèche, le vrillage, le besoin de surface pour des vitesses d’atterrissage raisonnables.
Les Mirage III et IV rendirent célèbres les ailes delta : elles offrent de très grandes qualités pour les vols à grande vitesse et permettent des approches très cabrées à des vitesses acceptables pour des appareils militaires, bien que restant élevées. De nos jours, le Rafale par exemple, associe aile delta et un plan canard en avant de l’aile. En aviation légère, le biplace conçu en Belgique Verhees Delta 2B est un delta pur, avec semble-t-il d’excellentes performances.
Une autre solution très élégante fut adoptée pour le Concorde : l’aile dite « ogivale » avec une longue surface d’apex en avant du delta créait en vol cabré un système de tourbillons au-dessus de l’aile qui augmentait la portance sans gêner les vols rapides. L’avion de reconnaissance SR71 Blackbird américain qui croisait à plus de Mach 3 avait une géométrie assez similaire.
Finalement, on peut aussi accepter l’instabilité intrinsèque de l’aile et faire piloter l’avion… par un ordinateur : c’est la solution utilisée au moins en partie sur le bombardier furtif Northrop B2. Évidemment, il ne faut pas que l’ordinateur tombe en panne !
Dans les années qui suivirent la guerre, Charles Fauvel conçu un planeur Aile Volante AV36, dit « Aile Fauvel », équipé d’un profil autostable. Le premier vol eu lieu en 1951. Les performances étaient très honorables pour l’époque, avec une finesse de 26 (les planeurs de compétition modernes atteignent 60). Les avantages en étaient une structure nettement plus simple et très solide, et le fait qu’on pouvait transporter l’aile par la route sans démontage particulier. Les inconvénients en étaient un pilotage un peu spécifique et une grande sensibilité au centrage. Une petite série fut construite par Wassmer Aviation en France, ainsi qu’en Allemagne. Une variante, l’AV361, avec un profil amélioré atteignait une finesse de 30. Il y eu également des versions motorisées.
L’aile Fauvel que nous avons dans nos réserves a été récupérée dans un hangar en région parisienne où elle était promise au bûcher, telle une sorcière du XVIIème siècle ! Délivrée de ce destin funeste, elle attend maintenant à l’abri un projet de restauration à la fois réaliste et… financé.