Comme pour tout avion, on commence par une visite prévol. Après avoir vérifié sur le tableau de bord que les contacts sont coupés, on ouvre le capot moteur et on regarde le niveau d’huile : ce moteur en est assez gourmand, et il faut en rajouter régulièrement un demi-litre ou un litre. En même temps, on vérifie que, dans le dédale de conduits et de tuyaux de toutes sortes, il n’y a pas de fuite, que tout est bien en place, bien fixé. Rien n’interdit de passer un coup de chiffon là où ça peut être utile : il y a toujours des petites coulures ici et là. Puis, on fait le tour de l’avion, on inspecte l’état de l’entoilage, les fixations des haubans de la voilure, le jeu et le débattement des gouvernes, l’état des pneus, la fermeture des trappes, etc.

L’étape suivante consiste à s’installer à bord, le pilote en place arrière et l’éventuel passager à l’avant. On monte sur l’aile en prenant soin de ne marcher qu’aux endroits prévus, car il serait dommage de faire un trou dans la toile en marchant dessus ! On enjambe le fuselage en s’agrippant où on peut et on se laisse glisser sur le siège. C’est spartiate, un peu étriqué, mais pas inconfortable. Il y a deux jeux de ceintures de sécurité : le premier maintient la taille et les épaules, et l’autre vient par-dessus et prend uniquement la taille. Cela prend un peu de temps car on manque de place et comme il n’y a pas d’enrouleur comme dans une voiture, les ceintures se baladent un peu n’importe où, il faut aller les pêcher au fond du fuselage, et les boucles se coincent au moindre obstacle. Finalement, on passe les pieds dans les boucles en cuir du palonnier. Après tout, on n’est pas mal installé, bien calé dans son siège.

Le tableau de bord est… succinct. Ne pas chercher l’ordinateur de bord : il n’y en a pas ! Il n’y a même pas de circuit électrique : la radio (un anachronisme !) est alimentée par une petite batterie qu’il faut recharger de temps en temps, comme un téléphone portable.

Ensuite vient le rituel du démarrage : il n’est pas question ici d’appuyer sur le bouton du démarreur et d’attendre que le moteur tourne. Non ! Il n’y a pas de circuit électrique et le démarreur est à air comprimé, ce qui suppose de procéder dans le bon ordre… D’abord, on vérifie, une fois de plus, que les contacts sont coupés : en effet, un aide va tourner l’hélice à la main, et il ne faut pas que ça démarre de façon intempestive. Donc, pendant que ce complice brasse l’hélice, on injecte de l’essence dans le moteur en agitant la manette des gaz. Après quelques pales : « ça pisse ! », de l’essence coule par le trop-plein et il est temps de passer à l’étape suivante. Toujours contacts coupés, l’hélice est délicatement amenée dans la position optimale pour le démarrage : quasi-verticale, juste après le claquement de la magnéto.

Frein de parking serré, manche au ventre, un poil de gaz. « Personne devant ? » En effet de la place du pilote, on ne voit rien devant, donc il faut vérifier que le champ est libre. Après confirmation : contacts ! Puis on actionne le démarreur…

C’est énergique ! Beaucoup plus qu’un démarreur électrique. Le moteur démarre sèchement. Si on rate son coup, on a le droit à un deuxième essai, mais après, la bonbonne d’air comprimé est vide : plus de démarreur. Il faut démarrer à la main, comme pendant la guerre de 14.

La pression d’huile doit monter rapidement : sinon, arrêter tout de suite.

Cette étape franchie, il faut savoir prendre son temps : on doit laisser chauffer le moteur aux environs de 1000 tours/minute pendant au moins 5-6 minutes. Pendant ce temps, on branche la radio, on se coiffe des écouteurs, on ferme les petits portillons sur les côtés, on réajuste le col de son blouson, et on achève de s’installer confortablement.

Maintenant, il faut rouler. Avant toute chose, réduction complète des gaz. Libérer les freins. Application précautionneuse de la puissance et l’avion doit commencer à bouger… et c’est là que ça se complique ! La roulette de queue, censée permettre de diriger l’avion, est libre et ne dirige pas grand-chose. Reste la gouverne de direction dans le souffle de l’hélice : un peu approximatif. En plus, on ne voit toujours rien devant. En cas de besoin, on peut utiliser les freins en bout de palonnier, d’un côté ou de l’autre : un peu brutal et potentiellement dangereux si on laisse l’avion prendre de la vitesse, on peut assez facilement basculer sur le nez. L’absence de visibilité vers l’avant exige d’avancer en zigzag, et, selon l’expression consacrée, quand on est dans le zig, on regarde dans le zag et inversement. Les essais moteurs et les actions vitales (la check-list avant décollage) sont assez simples : reste à aller s’aligner sur la piste, de préférence en herbe.

Là, prendre son temps, souffler… Quelques mouvements d’assouplissement des doigts de pieds peuvent être utiles : ils devront être à la fois souples et agiles ! Mise des gaz progressive, mouvements rapides et précis des pieds pour garder à peu près l’axe de la piste. Lever doucement la queue, au moins on voit un peu devant. Garder l’axe, avec pas mal de pied à gauche. Et ça décolle.

Réduire un peu les gaz pour éviter de trop dépasser les 2000 tours/minutes : c’est un vieux moteur, il faut le ménager, il ne faudrait pas qu’il nous fasse une petite syncope !

On commence alors à bien sentir les commandes : homogènes, douces et infiniment précises. L’avion réagit instantanément et avec souplesse à la moindre pression : on ne parle pas là de mouvement des commandes, mais bien de pression, les mouvements sont infinitésimaux. En palier, on réduit encore vers 1900 tours/minute. On a vraiment l’impression d’une connexion directe entre la volonté du pilote et la trajectoire de l’avion ! Toutefois, si on veut garder la bille au milieu, ce qui est souhaitable, une action précise des orteils s’impose. Sans même s’aventurer à la voltige, enchaîner les virages, de plus en plus inclinés, est jubilatoire, si pas toujours facile à réaliser proprement… Mine de rien, notre monture est exigeante.

Pour peu que l’on soit un soir d’été dans une lumière dorée, la tête à l’air, plongé dans le paysage, les villages et les collines défilant derrière les haubans, on est pénétré par la sensation d’être devenu un être aérien, dans une relation simple et naturelle avec cet air qui nous porte. On n’a plus le sentiment d’être dans un avion dans l’air, mais… dans l’air, directement ! Le moteur ronflote paisiblement, ajoutant à la sérénité du moment.

Les américains disent, avec une indéniable logique, que si le décollage est optionnel, l’atterrissage, lui, est obligatoire. En virage vers la finale, moteur tournant tranquillement vers peut-être 1200 tours/minute, la concentration doit être à son maximum et croître encore au fur et à mesure que l’on approche du seuil de piste. Avec cet avion, l’atterrissage est toujours une aventure. Action douce et progressive sur le manche pour l’arrondi, ni trop haut, ni trop bas, les orteils en alerte ! Garder l’œil sur le peu que l’on distingue de la piste, repérer la position de l’horizon par rapport à quelque repère (capot, mât de cabane, …) pour maintenir le bon angle d’incidence. Piloter, piloter, piloter jusqu’au bout. Atterrissage trois points, manche au ventre, laisser ralentir, agir vivement sur les palonniers pour rester sur la piste !

Retour en zigzagant vers le parking. Le vol ne s’arrête que moteur arrêté, et coup de chiffon passé sur les inévitables coulures d’huile.

Les anglo-saxons parlent de leurs avions au féminin : un pilote britannique normalement constitué, normalement amoureux de sa machine, en dira : « she’s a doll » ou quelque chose d’approchant. Il y a là matière à réflexion : nous avons à faire ici à une vieille dame sensible, délicate, fragile, avec toutefois du tempérament, voire un brin de caprice, mais un cœur d’or !